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Recension. Entreprises éclatées et périmètre de la représentation collective, coord. N. Thevenot, CES Université Paris 1, Rapport d’étude DARES, 2021, 198 p. [2ème partie]

Après le cadrage statistique, les auteurs présentent les différentes situations d’éclatement repérées dans les monographies. Pour rappel, l’objet du présent rapport est d’analyser comment les formes d’éclatement d’une entreprise agissent sur les modalités de la représentation, notamment au lendemain des ordonnances Macron, et des processus de fusion, centralisation, dédoublement d’instances qu’elles supposent pour les entreprises éclatées en différents niveaux de représentation (établissement-société-groupe).

L’enjeu est de repérer derrière certaines configurations des IRP des stratégies patronales à l’œuvre pour réduire les espaces et le pouvoir de négociation des salariés. Si tel est le cas, les élus devront ouvrir un chantier permanent de réflexion pour répondre malgré tout à leur mission, toujours dans ce paradigme fondamental de la direction stratège et des représentants du personnel tacticiens. En effet, comme dans tout rapport social asymétrique, les salariés dans une entreprise n’ont pas le privilège de l’initiative et sont subordonnés contractuellement.

Monographies : les différents types d’éclatement discutés

Nous présentons ci-après les schémas d’éclatement produits par les auteurs sans pour autant revenir sur les monographies en tant que telles. Nous nous contenterons donc de ces représentations puis des enseignements transversaux proposés par les auteurs.

Petit rappel : DO = Donneur d’ordre / PO = Preneur d’ordre

Les enseignements transversaux

Les auteurs souhaitent rendre compte des relations professionnelles dans les entreprises à partir des liens de dépendance dans lesquels elles se trouvent imbriquées. La mise en place des CSE au niveau des établissements et les modalités de la représentation collective « centralisée » sont discutées en suivant.

Les éléments financiers de l’éclatement

Les éléments financiers de l’éclatement, comme l’appartenance à un groupe, n’interviennent pas de façon uniforme et sont fonction du contexte du groupe comme le montrent les monographies. Ce que les auteurs interrogent, c’est la dimension stratégique des éclatements liés à la dépendance à un groupe, qui vise à redimensionner les différentes unités productives qui constituent l’entreprise éclatée. Ces stratégies ont un impact sur les lieux d’exercice de la représentation collective mais également sur l’orientation générale d’une filiale, toujours tenue, encadrée par sa « maison-mère », sa « holding » ou encore sa « tête de groupe ». Ces éléments témoignent des marges de manœuvre réduites pour les IRP des établissements dépendants, qui se voient régulièrement opposer la fatale rationalité du groupe lointain, contre leurs demandes concrètes.

La dépendance via la sous-traitance : des organisations de travail « contrôlées »

La dépendance liée à la sous-traitance s’inscrit dans le processus de production selon trois ordres : planification, quantification, qualification du travail en amont / assurance en aval de la valorisation du produit après assemblage avec d’autres produits / capacité du donneur d’ordre à intervenir en matière d’organisation du travail pendant tout le temps de la collaboration.

Les auteurs distinguent deux cas de sous-traitance : une sous-traitance dite intégrée (processus de production) et une sous-traitance de marché liée à de l’externalisation.

Sous-traitance dite intégrée : le DO commande, contrôle et évalue le travail. Il y a la quantité de travail commandée (80% de l’activité pour deux DO avionneurs), l’organisation de la supply chain (c’est le haut de la chaine qui choisit l’intégralité des intervenants de la supply chain), contrôle du travail par indicateurs OTD (On Time Delivery) et OQD (On Quality Delivery), des indicateurs ou KPI sans cesse décriés par les salariés contrôlés par ce type de dispositifs.

Sous-traitance de marché : Le DO n’a pas d’implication dans le travail en tant que tel. C’est le marché, la tension à la concurrence qui pressurise ici. De nouveaux intermédiaires interviennent (centrales d’achat) qui écrasent encore le prix mais pas seulement. En effet, selon certains syndicalistes, l’ajout d’un nouvel intermédiaire entre l’entreprise qui paie le service et l’entreprise qui l’effectue a tendance à éloigner toujours plus les salariés qui interviennent et à créer des décalages d’exigence qui, dans le cours quotidien de l’activité de travail, se répercutent sur les agents qui effectuent les tâches. L’exemple typique de ce type de sous-traitance de marché est bien sûr le cas des sociétés de nettoyage.  

Les auteurs évoquent ensuite les sous-traitances intragroupe, comme la délocalisation de l’atelier AERO en Espagne qui permet de contourner le droit du travail français. Cette forme d’éclatement complique sérieusement les tentatives d’unification lancées par les élus du personnel comme le soulignent les auteurs :

« Les collectifs de travail des deux entités sont dirigés par le même centre et très dépendants l’un de l’autre, l’activité de la filiale espagnole étant dépendante de celle de AERO avec un risque éventuel de déport d’activité pour AERO. Le différentiel de coût du travail avec l’Espagne, même si le RD‐DAF se défend que ce fut le motif du déport d’activité, est une source d’inquiétude pour les salariés qui peuvent se trouver en situation de mise en concurrence déloyale et de crainte pour leur emploi. »

p. 115

En effet, elle suppose des dynamiques de concurrence interne et des formes de rapports « patron/clients », entre les filiales, entre les sites et vis-à-vis du groupe/holding. Ces écosystèmes sont mortifères pour développer une politique unique de défense des salariés.

Les auteurs nous invitent ensuite à jeter un oeil du côté de la formation professionnelle pour repérer les formes de sous-traitance dans lesquels les salariés sont impliqués, un bon indice pour quiconque cherche à situer une entreprise. En effet, chaque monographie indique des spécificités liées à la maitrise ou non d’un métier, d’une pratique propre ou périphérique à l’activité principale du DO. Ces caractéristiques peuvent aider à repérer ensuite la structure de l’entreprise et les enjeux de maitrise des différents canaux déjà évoqués pour contrôler le travail.

« Dans la mesure où la compétitivité et la rentabilité des entreprises « dominantes » sont intrinsèquement liées à l’activité des établissements sous‐traitants et/ou filiales (et donc aux caractéristiques de la main d’oeuvre mobilisée), elles doivent donc faire tenir ensemble l’objectif de produire de la valeur et celui de réduire les coûts par l’externalisation de pans de leur activité. Outre les nombreuses possibilités qu’offrent les « nouvelles » technologies pour coordonner et contrôler le travail dans et hors de l’entreprise (progiciels de gestion intégrée, code‐barres, géolocalisation etc.) et l’imposition de standards, de normes et autres spécifications, elles doivent aussi s’assurer que les salariés des établissements « dominés » disposent des qualifications (et plus largement des compétences) qui concourent à la qualité de la prestation attendue. On peut donc s’attendre à ce que la formation des salariés, notamment la formation professionnelle continue, soit orientée dans ses opportunités, contenus et modalités, par la position plus ou moins dominée de l’entreprise, voire du processus de fragmentation. Ainsi, les salariés des entreprises preneuses d’ordres auraient des opportunités de formation à la fois plus rares (moindre accès du fait de la contrainte de coût) et plus restreintes dans leurs objectifs que leurs homologues des entreprises donneuses d’ordres. »

p. 118

Les auteurs notent également que dans l’entreprise éclatée, le groupe, en tête que tête, propose les formations pour les cadres pour diffuser un certain esprit d’entreprise, dans la logique déjà évoquée de la corporate governance. Ce phénomène a des conséquences directes sur le contenu des relations professionnelles.

Les relations professionnelles dans les entreprises éclatées

Les auteurs constatent que la mise en place du CSE (fusion DP, CE, CHSCT) s’accompagne toujours d’une diminution des moyens alloués à la représentation, en termes d’heures de délégation notamment.  

Nous retrouvons deux façons pour l’employeur de profiter du passage au CSE pour réduire les espaces et les potentialités du dialogue social :

  1. d’abord dans une nouvelle configuration des périmètres des IRP en fonction de la structure des sites (CSE établissements et CSE centraux, Comités de groupe, UES etc.)
  2. vis-à-vis du nombre d’élus et surtout des heures de délégation, qui ne peuvent plus se cumuler, ce qui suppose une organisation complexifiée et parfois déqualifiante pour les suppléants. Ce constat a déjà été fait par Farvaque et al.[1].

Dans le détail, les auteurs reviennent sur la négociation des accords-cadres pour la mise en place des CSE, en comparant les moyens précédents à ceux désormais alloués.

« Au final, nos cas illustrent un affaiblissement des moyens à disposition des représentants du personnel, soit par le nombre d’élus (voire même d’agences représentées par des élus) et/ou d’heures de délégation, soit par de faible possibilité de représenter les salariés qui sont à distance du CSE. »

p. 144

Mais au-delà de l’accord d’entreprise sur l’organisation des IRP, quid de la représentation réelle des salariés ? Les auteurs notent une très faible utilisation des représentants de proximité[2]. Il existe encore un flou dans leur utilisation. Pour exister, le statut de représentant de proximité doit être précisé dans l’accord-cadre. Le nombre d’heures de délégation allouées aux représentants de proximité est déterminé par ce même accord. Il est clair que pour les entreprises éclatées, dotées d’établissements distincts, multi-sites et éloignés géographiquement les uns des autres, cette mesure est nécessaire afin d’opérer un maillage correct de la mission de représentation.

Quels effets pouvons-nous retenir de la mise en place des CSE sur les relations sociales ? Sans contribuer a priori à un renouveau du dialogue social, c’est plutôt une complexification de l’activité de représentation que les auteurs stipulent, avec une longueur et une lourdeur des réunions et des difficultés liées au regroupement des thématiques. Ces réunions marathons, faites d’ordres du jour souvent intraitables en une journée, entraînent une baisse de l’efficience du travail des élus de l’instance.  

Les auteurs constatent également une baisse du recours à l’expert du fait du transfert du coût au CSE pour certains cas d’expertise comme l’explique un représentant du personnel CGT d’une entreprise de nettoyage :

« Non, les autres après, avant, sur des sujets précis, on pouvait imposer une expertise au nom du CHSCT. C’est le mandataire du cabinet d’expert qui venait voir sur les conditions de travail sur un sujet, et c’était l’employeur qui payait l’expert. Puisque le CHSCT n’a pas de budget. Et là avec les ordonnances et les lois Macron, les lois El Khomri et tout ce qui s’en suit, tout ce qui s’est passé, maintenant il reste à charge 20% des expertises sur le budget du CSE. Si on prend le coût d’une expertise c’est souvent, facilement ça arrive à 30/40 000 euros. Donc 20% sur un budget de 10 000, si on prend, ça va faire… 40 000 euros, ça va faire 20%, c’est pas sorcier, deux fois quatre : huit. Ça fait 8 000 euros sur un budget qui… Donc le CSE n’a plus les moyens de mettre en place des expertises, donc les employeurs sont contents, ils n’ont plus d’expertise indépendante qui peuvent être faite sur les conditions de travail, sur les machins. »

p. 152

Il est paradoxal de devoir se priver d’un moyen d’information là où la fusion des instances suppose déjà une complexification des tâches et une compression de l’activité de représentation. La fusion des instances comprend le passage de la CHSCT à la CSSCT. Ce passage de comité à commission décrit en réalité une perte en pouvoir, une perte en compétences, en spécialisation et entraîne également une complexification du travail des élus. La prochaine enquête REPONSE sera précieuse pour confirmer ou infirmer cette caractéristique. Selon le rapport, les RP signalent la dégradation des conditions de représentation tandis que les RD ne semblent pas affectés par ces modifications.

Dans un deuxième temps, les auteurs s’interrogent sur les IRP centrales. En effet, ces IRP étaient destinées à créer une harmonie dans l’organisation mais peut-être aussi pouvaient-elles coordonner de manière efficace le travail de représentation ? Là-dessus, peu d’illusions. La mise en place des IRP centrales est souvent une prérogative de la direction qui voit d’un bon œil la mise en place de ces instances pour surveiller et harmoniser les pratiques. Il y a deux types d’IRP centrales repérées : les comités de groupe et les UES. Les auteurs reviennent dans un encadré sur ces instances :

Encadré 3 : Les instances de représentation inter‐entreprises : Comités de groupe et UES

Les CSE centraux ont vocation à remplacer les CE centraux qu’il s’agisse des entreprises multiétablissements ou des UES. Ainsi toute entreprise où un accord a permis la reconnaissance d’établissements distincts doit disposer d’instances au niveau des établissements distincts et au niveau central. Les membres élus des CSE des établissements distincts élisent parmi eux le ou les représentants qu’ils souhaitent voir représenter leur établissement au CSE central. Des règles additionnelles doivent être retenues lorsqu’il y a plus d’établissements distincts qu’il n’y a de sièges au CSE central.

Le comité central de l’UES et le comité de groupe sont les deux types d’instances qui permettent de structurer les relations professionnelles au‐delà de l’entreprise. Ils diffèrent sur leurs prérogatives, les obligations de leur installation et leurs implications sur la représentation collective.

Le comité de groupe a pour mission de permettre aux différents comités d’entreprise d’obtenir des informations sur le groupe (activité, situation financière, évolution et prévision de l’emploi) et toutes les entreprises qui le composent. Ce n’est donc qu’un appui aux CSE existants. Ce comité n’est pas élu et rassemble « des RP des entreprises constituant le groupe » (Code du travail L 2333‐1). C’est donc finalement une institution secondant les CSE. Le comité de groupe peut se mettre en place dès lors qu’il y a une entreprise dominante et des entreprises dominées lorsque les liens financiers unissant les sociétés d’un groupe induisent un pouvoir de direction unique. Les organisations syndicales y ont un intérêt fort dans la mesure où c’est la seule instance par laquelle elles peuvent accéder aux informations économiques au niveau du groupe.

Le comité de groupe européen est également l’instance de communications des informations économiques du groupe au niveau européen. Tout comme le précédent, il n’a pas de visée consultative mais seulement informative.

Lorsqu’il y a un groupe, l’employeur peut prendre l’initiative de la mise en place d’un comité et il a obligation de la mettre en place dès lors qu’une organisation syndicale en fait la demande. Ainsi, autrement dit, les syndicats peuvent en prendre l’initiative si l’employeur ne l’a pas prise et, dans ce cas, l’employeur ne peut alors s’y opposer.

L’UES, elle, est considérée comme une entreprise du point de vue du droit du travail et doit appliquer les règles de RP afférentes. La mise en place d’un CSE commun, le CSE central d’UES, est obligatoire dès que l’UES est reconnue. C’est un comité social et économique à part entière. Comme la reconnaissance a pour objet la création de cette instance centralisée interentreprises, la mise en place du CSE central suit nécessairement sa reconnaissance qu’elle soit obtenue par accord ou par voie judiciaire, contrairement au comité de groupe puisque le groupe se définit uniquement comme un lien inter‐entreprise purement financier. L’UES paraît pouvoir chevaucher différents périmètres sociaux. Comme rapprochement de personnes juridiques, l’UES a ainsi des traits communs avec le groupe. La différence tient au fait que les liens premiers pour le groupe sont financiers quand ceux de l’UES sont économiques ET sociaux.

En droit, la présence préalable d’un comité de groupe empêche la reconnaissance d’une UES à un même niveau que le groupe (cass. Soc. 20 octobre 1999). Ces notions sont dites incompatibles. Mais la constitution d’un groupe n’empêche pas la création d’une UES si les périmètres du groupe –au sens du comité de groupe‐ et de l’UES sont différents. »

p.160-161

Les auteurs notent une importance des instances niveau groupe dans le quotidien des salariés, en termes de condition de travail et de politique salariale, à l’image des ordres hiérarchiques révélés par l’entreprise éclatée. Il y a une faible autonomie des établissements. Seulement, la mise en place de ces instances est souvent mise de côté, oubliée et quand elles sont présentes, leur rôle est dévoyé et limité. On voit par exemple que la reconnaissance de l’UES, qui auparavant était une demande régulière des salariés pour offrir une cohérence à la représentation de la communauté de travail, vient maintenant de la direction, qui en profite pour réduire les moyens de la représentation du fait du nouveau périmètre de fusion. En prenant l’exemple de NETTOIE, entreprise de nettoyage, seule entreprise à disposer d’une UES, les auteurs indiquent :

« Ainsi, loin de permettre de compléter le dialogue social qui se tient dans chaque entreprise par un nouvel échelon prenant en compte l’ensemble du groupe, la création de l’UES peut être instrumentalisée pour limiter, voire ‘confisquer’, la négociation à son niveau le plus centralisé. »

p. 170

L’augmentation du niveau de technicisation du dialogue social, directement lié à la centralisation, entraine une asymétrie de ressources et d’organisation entre RP et RD.

« Les différentes monographies montrent, en effet, qu’une instance centralisée existe ou non, le rapport aux échelons supérieurs (‘siège’ ou ‘groupe’) sont très inégaux entre l’encadrement et les directions d’un côté, et les salariés de l’autre. Ainsi, les premiers participent et font vivre un niveau central dans des comités de direction (a), tandis que les seconds peinent à obtenir des informations et à construire des liens au‐delà de leur propre site (b). »

p. 170

En se centralisant, l’espace du dialogue social entre la direction et les représentants des salariés se rapproche de la rationalité du capital et s’éloigne de celle du travail. Les directions sont plus à l’aise et multiplient les initiatives d’organisation, en partageant le travail des cadres entre site local et mission de groupe par exemple. Si on se souvient de la réflexion faite plus haut concernant la formation de ces cadres, on voit se dessiner la stratégie de la corporate governance contre le pouvoir de négociation des salariés au niveau des instances centralisées. Du côté des salariés, ce travail de coordination, entre salariés de différents sites, ne bénéficie pas de la même liberté et les heures de délégation ne suffisent pas à assumer un tel travail.

 Les auteurs concluent :

« Dans les entreprises étudiées, la notion de « groupe » joue un rôle variable, ne serait‐ce que parce que le nombre et la taille des filiales sont très divers. Mais au sein de chacun des groupes, le niveau de la tête de groupe demeure un lieu majeur de décision. Si les représentants du personnel ont conscience de cette importance, ils ne perçoivent que difficilement comment y accéder… d’autant plus que les instances nécessaires à ce type de dialogue font fréquemment défaut, en partie de leur fait par manque de moyens humains, de candidats à proposer pour y siéger. Par ailleurs, leur existence formelle ne suffit pas à ce que les négociations puissent se dérouler de manière efficace. Les monographies ont ainsi surtout fait apparaître un très fort décalage dans le degré d’appropriation du niveau central entre l’encadrement d’un côté (qui connaît, maîtrise et partage des relations à ce niveau) et les salariés de l’autre. En effet, ces derniers n’ont, le plus souvent, que très peu de relations au-delà de leur site et peuvent même parfois percevoir les autres salariés comme des concurrents. Sur le plan du groupe, comme sur celui des liens entre salariés des donneurs et preneurs d’ordres, l’existence d’une « communauté de travail » semble ainsi faire défaut. »

p. 175

Conclusion

Comment les relations de dépendance entre établissements configurent-elles l’existence d’instances représentatives du personnel et leur périmètre et, par là, les lieux possibles du dialogue social ? Est-ce que ces relations impriment leur marque sur les différents espaces de négociations ?

Il y a trois principaux facteurs de division des collectifs de travail : isolement de certains salariés (cas du nettoyage et des salariés mis à disposition), éloignement et concurrence entre sites, divisions sociales et syndicales. Il y a beaucoup de travail à faire pour articuler les instances dans les entreprises éclatées, et ainsi reconstituer les collectifs de travail. Du côté de la direction, isoler et diviser restent deux stratégies depuis longtemps éprouvées et qui portent toujours leur fruit.

« Les entreprises étudiées ont ainsi fait ressortir la très forte asymétrie entre une « communauté de direction » assez structurée (et dont la cohésion est soutenue par des efforts importants consentis par les têtes des groupes) et des collectifs de travail de plus en plus fragmentés. »

p. 181

La complexité du travail de représentation réside désormais en partie dans l’usage quotidien des différents niveaux d’instances. N’intervenir qu’en instance centrale coupe les RP des salariés et n’intervenir qu’en instance locale empêche d’intervenir sur les décisions prises au niveau central, souvent de premier ordre quant aux conditions de travail et d’emploi. La seule solution pour parvenir à reconstituer un collectif de travail en mesure de défendre les droits des salariés est bien d’assurer une articulation efficace entre les deux niveaux. Cette solution a pour principal défaut d’être toujours singulière, liée à l’entreprise et sa conception. C’était toute la dimension politique de la loi Travail que de « particulariser » le droit. C’est un défi de taille pour l’activité des représentants du personnel. Le risque, c’est que dans un face à face avec la direction dans les instances centrales, les élus perdent le lien avec le collectif de travail. Visiblement, un nouveau travail de terrain s’impose.


[1] FARVAQUE N., BOULNOIS M., CAPELIER T., CHEVRIER V., CIBOIS V., MARTINES J.‐S., MESSAOUDI D., ORLY G., SMAGUINE A.‐L. (2019), “Appropriation et mise en œuvre des ordonnances du 22 septembre 2017 réformant le droit du travail. Etude de terrain qualitative”, Rapport pour la DARES, 23 septembre.

[2] Sur les représentants de proximité : « Les acteurs de l’entreprise conservent la liberté d’adapter la représentation du personnel aux besoins propres de chaque entreprise (art. L. 2313‐7). C’est un accord collectif d’entreprise majoritaire qui en décide l’existence, le nombre et les attributions en fonction des besoins identifiés dans l’entreprise en matière de représentant du personnel. Ce sont soit des membres du CSE, soit des membres désignés par lui dont le mandat doit prendre fin en même temps que celui du CSE. » (p.142) Contrairement aux DP élus, les Représentants de proximité sont désignés par le CSE, une procédure politique qui renverse la notion de représentant. Ici, finalement, les personnes désignées représentent d’un point de vue institutionnel plutôt le CSE auprès des salariés que l’inverse. En effet, il n’est pas possible de faire élire des représentants de proximité par le périmètre d’établissement visé. Pour tenter d’éviter l’éparpillement, certains élus CSE ont pris le statut de représentant de proximité, mais il semblerait que ce choix ne favorise pas l’activité de proximité et accentue le phénomène de centralisation.

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