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« La BDES : une infrastructure informationnelle déficiente ? » par Vincent-Arnaud Chappe in Entreprises en négociations, CMH

Vincent-Arnaud Chappe consacre une ouverture spécifique à la BDES au sein du sixième chapitre du rapport du CMH précédemment recensé[1]. Le dialogue social suppose un partage des informations de la part de la direction à destination des représentants du personnel. Pour émettre un avis, il faut effectivement pouvoir se représenter la situation. Malgré l’apparente simplification du travail de documentation que promet la BDES, les enquêtés du rapport « Entreprises en négociations » semblent confirmer l’adage qui dit qu’on ne règle pas un problème politique avec une solution technique.

La BDES

Le droit du travail contraint les entreprises à produire et partager un certain nombre de documents pour que les représentants du personnel puissent remplir leur rôle. La BDES, encadrée par l’article L. 2312-18 du CDT, est un espace dédié à cette mission :

« Une base de données économiques, sociales et environnementales rassemble l’ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l’employeur met à disposition du comité social et économique. Ces informations comportent en particulier l’ensemble des indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur les écarts de rémunérationet de répartition entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes définies à l’article L. 23-12-1 du code de commerce, et les informations sur la méthodologie et le contenu des indicateurs prévus à l’article L. 1142-8 du présent code.

Les éléments d’information transmis de manière récurrente au comité sont mis à la disposition de leurs membres dans la base de données et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d’État.

Lorsque les dispositions du présent code prévoient également la transmission à l’autorité administrative des rapports et informations mentionnés au deuxième alinéa, les éléments d’information qu’ils contiennent sont mis à la disposition de l’autorité administrative à partir de la base de données et la mise à disposition actualisée vaut transmission à cette autorité. »

L. 2312-18 du CDT

Obligation légale formulée en 2013, il s’agit d’une « base de données économiques et sociales » destinée à informer le CSE dans le cadre des procédures d’information-consultation. Initialement, elle devait être le support d’une nouvelle consultation du CE sur les orientations stratégiques de l’entreprise, mais la loi Rebsamen (17 août 2015) en a fait le support de l’ensemble de l’information économique et sociale donnée de façon récurrente aux représentants du personnel (Cohen, Milet 2021 : 630). Il s’agissait de la contrepartie à la limitation des durées de consultation pour le CSE.

En 2019, le cercle Maurice Cohen[2] a mené une enquête auprès de 811 RP (représentant 2,7 millions de salariés) sur l’usage de la BDES. Les principales interrogations du cercle reposaient sur la mise en place de l’outil, sa mise à jour, son accessibilité, son caractère exploitable, son caractère suffisant. Dans 59,1% des cas, l’employeur fixait le contenu et les modalités d’accès à la BDES et 47 % indiquaient que les prévisions sur trois ans ne figuraient pas dans la base[3]. 59,4 % des enquêtés assuraient n’être jamais informés des mises à jour, ce qui peut avoir de très graves conséquences, notamment autour des délais d’infos-consultation qui courent dès le dépôt de l’information sur la base. 59,7% indiquent que l’accès à l’information suppose une recherche de données dans des documents en PDF. 88,6 % des enquêtés considéraient que l’accès à l’information depuis l’apparition de la BDES était inchangé, voire moins bon.   

Alors qu’en est-il de l’usage réel de cette BDES depuis son introduction ? À travers les monographies proposées dans le cadre du rapport « Entreprise en négociations », nous obtenons d’autres informations que Vincent-Arnaud Chappe s’est efforcé de synthétiser.

Si la BDES est formellement une obligation depuis maintenant plusieurs années, seule la création du CSE aurait dynamisé son utilisation. Seulement, du côté de la direction comme des représentants du personnel, on remet en cause la pertinence et l’utilité de cette base. Certains la considèrent comme de « la poudre aux yeux » qui augmente le travail de la direction quand d’autres la voient comme « un placard » où on met des dossiers dont les représentants du personnel disposent déjà.

Quelles critiques de la BDES ?

Les critiques de la BDES ne remettent pas en cause sa logique, mais plutôt le contenu et l’accessibilité. D’abord, c’est un outil que la direction maitrise malgré son encadrement juridique. Les représentants du personnel critiquent régulièrement l’incomplétude des données, notamment sur le volet « orientation stratégique ». Autre critique, celle de la qualité des données quand elles sont présentes.

Parce que la qualité des chiffres tient plus à la logique qui concourt à leur fabrication qu’à la mise au jour d’une quelconque situation objective, les négociations portent régulièrement sur cette logique, sans que les directions ne répondent toujours favorablement aux demandes. Cela signifie que la préparation de l’accord d’entreprise au sujet de la BDES est primordiale pour construire l’outil.

L’article 2312-21, al. 1 à 3 du CDT précise par ailleurs la mise en place :

« Un accord d’entreprise conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 ou, en l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, définit :

1° L’organisation, l’architecture et le contenu de la base de données économiques, sociales et environnementales ;

2° Les modalités de fonctionnement de la base de données économiques, sociales et environnementales, notamment les droits d’accès et le niveau de mise en place de la base dans les entreprises comportant des établissements distincts, son support, ses modalités de consultation et d’utilisation.

La base de données comporte au moins les thèmes suivants : l’investissement social, l’investissement matériel et immatériel, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise, les fonds propres, l’endettement, l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants, les activités sociales et culturelles, la rémunération des financeurs, les flux financiers à destination de l’entreprise et les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise.

L’accord peut également intégrer dans la base de données les informations nécessaires aux négociations obligatoires prévues à l’article L. 2242-1, au 1° de l’article L. 2242-11 ou à l’article L. 2242-13 et aux consultations ponctuelles du comité social et économique prévues à l’article L. 2312-8 et à la sous-section 4.

L’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données sont tels qu’ils permettent au comité social et économique et, le cas échéant, aux délégués syndicaux d’exercer utilement leurs compétences.

À défaut d’accord prévu à l’alinéa premier, un accord de branche peut définir l’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données économiques, sociales et environnementales dans les entreprises de moins de trois cents salariés. »

L. 2312-21, al. 1 à 3 du CDT

Pour les entreprises d’au moins 300 salariés, l’absence d’accord peut engendrer une unilatéralité de la décision du côté de l’employeur :

« En l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-21, la base de données est tenue à la disposition des personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2312-36 sur un support informatique pour les entreprises d’au moins trois cents salariés, et sur un support informatique ou papier pour les entreprises de moins de trois cents salariés.

L’employeur informe ces personnes de l’actualisation de la base de données selon des modalités qu’il détermine et fixe les modalités d’accès, de consultation et d’utilisation de la base.

Ces modalités permettent aux personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2312-36 d’exercer utilement leurs compétences respectives. »

art. R 2312-12 du CDT

L’accessibilité des données au sein de la BDES est aussi critiquée. D’abord, l’accessibilité à la base elle-même, où la « permanence de l’accessibilité » est sujette à interprétation comme en témoigne le jugement de la Cour de cassation qui valide un accès sur les heures d’ouverture de l’entreprise, à partir de l’adresse IP des agences (Cass. Soc., 25 sept. 2019, n°18-15504). Ceci pose de sérieuses questions pour un élu en déplacement ou encore en télétravail qui a besoin de consulter des documents ou simplement de s’informer de la mise à disposition de ces derniers. Il y a ensuite l’accessibilité aux données elles-mêmes. Sont-elles exploitables ? Les élus rapportent des « usines à gaz », trop fournies pour en avoir un usage correct. Les formats des documents, papier ou dématérialisés, ou encore leur format numérique, peu appropriable, comme le format PDF par exemple, supposent parfois un travail de bricolage très chronophage pour les élus. En dernier lieu, le périmètre d’accès à l’information est primordial. En effet, l’accès à l’information dépend d’une habilitation. Or, les élus d’une filiale n’auront par exemple pas accès aux informations du groupe sous accord contraire, ce qui démontre encore une fois comment les niveaux de l’entreprise peuvent être utilisés à des fins stratégiques par la direction dans le cadre du dialogue social.

Conclusion

On remarque que la BDES n’est pas l’outil qui permet de réduire drastiquement les asymétries informationnelles. Elle parait même parfois jouer le rôle inverse, en contraignant les élus à fournir un travail conséquent pour cette quête de l’information, qu’ils ne pourront pas investir ailleurs. L’entreprise garde un pouvoir de pré-formatage immense des données partagées et de discrétion à l’égard de certaines informations. En ce sens, l’expérience des représentants du personnel est précieuse et plusieurs témoignages rapportent qu’il existe un enjeu à la négociation de la forme de la BDES et des données qui y sont indexées, en sécurisant les conquis par un accord d’entreprise juridiquement contraignant. Pour y parvenir, un travail de formation et de préparation est primordial.


[1] https://blog.midi-ctes.fr/?p=149

[2] http://www.cerclemauricecohen.org/grande-enquete-nationale-sur-la-mise-en-place-de-la-bdes-dans-les-entreprises-francaises/

[3] Aujourd’hui, il est possible de déroger par accord à cette obligation. Il faut donc être très prudent lors de la négociation du périmètre des données insérées dans la BDES et insister sur cette dimension.

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